
Madame la Présidente,
Nous sommes des organisations de la société civile congolaise engagée respectivement dans la promotion de la gouvernance responsable et redevable ainsi que de la promotion de la gouvernance participative, des élections démocratiques et d’engagement civique.
C’est à ce titre que nous avons pensé vous adresser la présente en vue de porter à la connaissance de votre personnalité les préoccupations profondes de populations congolaises et de nos membres quant à l’avenir de notre pays, la République Démocratique du Congo, engagée actuellement dans un processus électoral pour la consolidation de la démocratie.
Madame la Présidente,
Point n’est besoin de rappeler le rôle combien louable que l’organisation continentale n’a cessé de jouer pour l’émergence d’une gouvernance participante, responsable et redevable dans les Etats membres, notamment en République Démocratique du Congo et ce, en application de ses instruments juridiques pertinents que sont l’Acte Constitutif de l’Organisation, la Charte Africaine pour les Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.
C’est fort de ces instruments, y compris les Conventions, Pactes et Traités adoptés dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies que le principe de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques des pays a été consacrée comme une exigence pour le rétablissement, la restauration et la consolidation de la paix, de la sécurité ainsi que le fondement du développement intégral et durable des Nations. Et, cette participation des citoyens se traduit par la tenue et/ou l’organisation régulière et périodique des élections pour leur permettre de choisir leurs représentants pour présider aux destinées de leurs pays.
Madame la Présidente,
La République Démocratique du Congo a renoué avec les principes de la gouvernance responsable et démocratique après avoir subi l’une des dictatures les plus atroces suivie par plus d’une décennie des guerres meurtrières et dévastatrices dont les conséquences sont encore perceptibles dans la vie quotidienne du citoyen moyen. Et, l’organisation continentale que vous avez la lourde charge de diriger a été d’un apport considérable dans le processus de rétablissement d’un Etat responsable à travers les appuis multidimensionnels dans les différents domaines de la vie nationale, particulièrement pour le rétablissement de la paix et l’organisation de deux cycles électoraux. Le peuple congolais restera toujours reconnaissant à l’organisation continentale pour les efforts qu’elle n’a cessé d’entreprendre pour la consolidation de la paix, de la sécurité et de la démocratie, gage du développement du pays.
C’est dans ce sens que le peuple congolais croit savoir que votre intervention dans la situation qui prévaut actuellement dans le pays ne pouvait qu’être importante surtout qu’il serait de l’intérêt de l’ensemble de l’Afrique de résoudre par ses pairs les problèmes qui déchirent les Etats membres. Ainsi, pense-t-il que la désignation de Monsieur Edem Kodjo, membre du Comité des Sages de l’Union Africaine, s’inscrirait dans cette optique.
Madame la Présidente,
Tout en vous félicitant de cette désignation et de la mission d’explorateur confiée à Monsieur Kodjo en vue de la tenue d’un dialogue, permettez-nous de rappeler à votre autorité certains principes auxquels une mission aussi importante comme celle confiée à l’ancien Premier ministre togolais, ne saurait nullement déroger.
Ces principes, vous vous en doutez, sont tirés des instruments juridiques pertinents de l’Union Africaine, particulièrement de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.
1. Au titre des objectifs
La Charte revient in expressis verbis sur :
(i) la promotion et le renforcement de l’adhésion de l’Etat de droit fondé sur le respect et la suprématie de la Constitution et de l’ordre constitutionnel dans l’organisation politique des Etats parties,
(ii) la promotion de la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes afin d’institutionnaliser une autorité et un gouvernement légitimes ainsi que les changements démocratiques de gouvernement,
(iii) à l’interdiction du rejet et à la condamnation de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Etat membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et au développement et
(iv) à l’instauration, au renforcement et à la consolidation de la bonne gouvernance par la promotion de la pratique et de la culture démocratiques, l’édification et le renforcement des institutions de gouvernance et l’inculcation du pluralisme et de la tolérance politiques.
2. Au titre des Principes
La Charte consacre : le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, (il), l’accès au pouvoir et son exercice, conformément à la Constitution de l’Etat partie et au principe de l’Etat de droit.
(iii) à la promotion d’un système de gouvernement représentatif,
(iv) à la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes,
(v) il la participation effective des citoyens aux processus démocratiques et de développement et à la gestion des affaires publiques,
(vi) au rejet et à la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement et
(vii) au renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle, des droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y compris les partis politiques d’opposition bénéficiant d’un statut prévu par la loi.
3. Au Titre de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme
la Charte oblige les Etats à
(i) prendre l’engagement de promouvoir la démocratie, le principe de l’Etat de droit et les droits,
(il) considérer la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples,
(iii) prendre des mesures appropriées afin d’assurer le respect de l’ordre constitutionnel, en particulier le transfert constitutionnel du pouvoir et
(iv) s’assurer que les citoyens jouissent effectivement des libertés et droits fondamentaux de l’homme suivant leur universalité, leur interdépendance et leur indivisibilité.
(v) renforcer le principe de la suprématie de la Constitution dans leur organisation politique et
(vi) s’assurer que le processus d’amendement ou de révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant, le cas échéant, le recours au référendum.
4. Au titre des Institutions démocratiques
La Charte oblige les Etats à
(i) renforcer et institutionnaliser le contrôle du pouvoir civil constitutionnel sur les forces armées de sécurité aux fins de consolider la démocratie et l’ordre constitutionnel,
(ii) coopérer en vue de traduire en justice toute personne qui tente de renverser un gouvernement démocratiquement élu par des moyens anticonstitutionnels,
(ii) établir les institutions publiques qui assurent et soutiennent la promotion de la démocratie et de l’ordre constitutionnel,
(iii) veiller à ce que la Constitution garantisse l’indépendance ou l’autonomie desdites institutions,
(IV) veiller à ce que les institutions rendent compte aux organes nationaux compétents et
(v) fournir aux institutions des ressources nécessaires pour s’acquitter de manière efficiente et efficace des missions leurs assignées.
5. Au titre des Elections démocratiques
La Charte enjoint aux Etats de
(i) créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections,
(ii) créer et renforcer les mécanismes nationaux pour régler, dans les meilleurs délais, le contentieux électoral et
(iii) faire en en sorte que les partis et candidats qui participent aux élections aient un accès équitable aux médias d’Etat, pendant les élections
6. Au titre des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement
La charte entend par changement anticonstitutionnel du gouvernement, notamment
(i) tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières et
(ii) tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique et,
(iii) enjoint au Conseil de paix et de sécurité d’exercer ses responsabilités pour maintenir l’ordre constitutionnel en application des dispositions pertinentes du Protocole relatif audit Conseil et d’écarter les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement de participer aux élections pour la restitution de l’ordre constitutionnel ni d’occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat.
Madame la Présidente,
En rappelant ces principes, nos organisations pensent attirer votre attention sur la situation qui prévaut actuellement en République Démocratique du Congo, dont la solution ne peut provenir que du respect strict et absolu de ces principes et non à travers la tenue d’un quelconque dialogue, inclusif soit-il, ni la désignation d’un médiateur et/ou facilitateur. Vous conviendrez, Madame la Présidente, qu’après la tenue de deux cycles électoraux, la République Démocratique du Congo ne peut nullement se donner le luxe d’entrevoir d’autres voies pour la consolidation de la démocratie, si ce n’est par le respect des dispositions de règles constitutionnelles pertinentes tant en ce concerne le respect de l’ordre institutionnel que des délais prescrits et impartis.
Force malheureusement est de constater qu’au lieu de s’acquitter des obligations leur incombant aux termes de la Constitution et des autres lois nationales en vigueur, les Institutions en place dans le pays se sont évertuées à multiplier des stratagèmes, si pas pour modifier ou revoir l’ordre constitutionnel établi, mais au moins pour tenter de passer outre les règles susceptibles de promouvoir et de consolider la jeune démocratie congolaise par la tenue et l’organisation, en intervalle égal et dans les délais impartis, des élections libres, transparentes, pluralistes et démocratiques comme le prévoit la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.
La stratégie d’entraver au processus de consolidation de la démocratie s’est traduite par des actions graduelles incluant les tentatives de tripatouillage de la Constitution et du Code électoral en janvier 2015, la précipitation de la réforme de la territoriale par la nomination des fonctionnaires en lieu et place des élus et, sans ressources financières adéquates, le blocage et la déstabilisation de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), l’absence des ressources budgétaires nécessaires à l’organisation et la tenue des élections, les tentatives de modification du système électoral ainsi que le déficit de volonté politique pour l’actualisation du fichier électoral, la répression des voix discordantes et des violations massives des droits de l’homme, les restrictions de l’exercice des libertés publiques, le dédoublement intentionnel des partis politiques, y compris l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire et des services de sécurité à des fins politiques, propres aux méthodes de gestion d’un régime dictatorial.
Madame la Présidente,
Nos organisations sont d’avis que la situation n’est pas totalement perdue et qu’il est toujours possible de rattraper le temps perdu. Voilà pourquoi, nous lançons un appel pressant à votre autorité afin qu’il soit tenu compte des sacro-saints principes contenus dans la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance pre-rappelés et d’adjoindre aux Institutions politiques en place en République Démocratique du Congo à promouvoir leur application au lieu de se livrer à des actes qui entraveraient leur mise oeuvre effective et efficiente; au risque d’ouvrir la voie à des actes susceptibles de remettre en cause l’ensemble du processus démocratique pour lequel le peuple congolais a payé le lourd tribut.
Votre autorité a confié à Monsieur Edem Kodjo dont la sagesse et la crédibilité ne peuvent souffrir d’aucun doute, une mission qui sera effectuée pour l’intérêt et le bien-être du peuple congolais et de l’Afrique tout entière.
Dans l’espoir que ce cri trouvera une attention particulière auprès de votre autorité, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de notre parfaite considération.
Pour la NSCC
Mr Jonas Tshiombela
Coordonnateur National
Pour le CEGO
Me Nickson Kambale
Secrétaire Exécutif